Qui compose Radio Tout Terrain

Entretien avec Léa, animatrice de la Radio, réalisé par Dédé lors des rencontres artistiques d’aout 2022.

En arrivant dans la Roya, Léa a créé Radio Tout Terrain, un média de proximité qui se veut convivial et participatif. Elle nous raconte l’histoire de la radio et les dispositifs d’expression et de création qu’elle explore avec ce média.

Tu as un parcours théâtral à la base, comment as-tu rencontré le média de la radio ?

C’est un outil par lequel je suis arrivée en autodidacte. La première fois que je m’en suis servi c’était pendant le processus de création d’une pièce de théâtre documentée autour de l’engagement politique. Pour écrire, je suis allée à la rencontre de jeunes qui nourrissaient un affect de révolte. J’ai acheté un enregistreur pour les interviewer, sans trop savoir me servir de cet outil. Dès les premiers entretiens, ce qui m’a tout de suite plu, c’est l’atmosphère particulière que la présence de l’enregistreur crée dans les échanges. On se met à porter attention à la manière dont on parle, il y a parfois un peu d’appréhension… Le fait de partager un moment dense et très intime avec des gens que je ne connaissais pas m’a beaucoup émue. L’intimité continue même après, quand tu réécoutes l’entretien. Il y a d’ailleurs des personnes dont la voix, les mots, les tournures de phrases ont continué à m’habiter pendant longtemps. M’imprégner de la pensée et du langage de ces personnes a fait partie de mon processus d’écriture de la pièce. Finalement, mon écriture c’est un méli-mélo de la langue des autres.

Tu as voulu continuer avec la radio ? Comment ça s’est passé ?

Quand je suis arrivée dans la Roya, j’avais l’envie de monter un petit média local, d’autant plus qu’il n’y en avait pas sur le territoire. Je m’y suis lancée dès les premières semaines alors que j’étais encore dans une phase de découverte de la vallée. Et justement, ça a été une super manière de rentrer en lien avec ce territoire que je ne connaissais pas. La radio c’est une porte d’entrée. Si je m’intéresse à un sujet ou que j’ai envie de rencontrer quelqu’un·e je peux le faire par cet intermédiaire là. Je m’autorise à questionner les gens sur plein de choses, ce que je ne ferais peut-être pas dans un cadre plus informel. La radio pour moi c’est un outil d’accouchement de la parole.

J’ai l’impression qu’il y a deux choses différentes, la prise de son en tant que telle et le média de la radio. Est ce tu peux détailler ces différents aspects ?

C’est vrai qu’il y a plusieurs facettes dans cette pratique. D’un côté, il y a le fait d’aller enquêter, chercher du son sur le terrain, faire des entretiens. Parfois ça me sert juste de ressource préalable à une recherche, et d’autres fois j’utilise les rushs, je les monte pour créer un reportage, un documentaire audio… Et puis d’un autre côté, il y a la radio en tant qu’espace d’échange où tu mets en scène une conversation. C’est un espace où les enjeux de représentation sont plus forts. Il y a un temps donné, un rythme, un équilibre de la parole à respecter. C’est complètement différent de faire une émission en direct ou d’aller interviewer quelqu’un·e avec un enregistreur pendant 3 heures. Dans ce cas, si tu fais une digression d’une heure ce n’est pas grave puisque tu vas faire du montage. L’entretien permet d’aller beaucoup plus en profondeur, car en général les choses les plus intéressantes mettent du temps à arriver dans la conversation. L’émission radio nécessite d’aller rapidement dans le vif du sujet.

Comment tu construis tes émissions radio justement ? Quels enjeux tu y mets ?

Je fais une émission tous les deux mois, qui est à chaque fois en lien avec la vie locale. Mais le but ce n’est pas de faire de la radio qui concerne uniquement la vie locale. Je traite de sujets très larges, souvent politiques – même si je ne les aborde pas avec un angle militant – que j’essaye de décliner à l’échelle locale. Mes émissions sont un peu comme des études de cas. Par exemple, cet été le gros sujet c’était la sécheresse et les ressources en eau, alors je me suis dit allons voir comment ça se passe dans la vallée de la Roya. J’espère que ça parle quand même à quelqu’un·e qui écoute l’émission sans connaître la vallée. Je crois au fait que les paroles des personnes sont pertinentes parce qu’elles sont ancrées. Dans les émissions, il y a rarement des expert·es ou des gens qui ont une parole analytique englobante. C’est là où j’interviens en tant qu’animatrice, je contextualise, je fais des ponts avec des questionnements plus larges. Si j’essaye de récapituler, ma recherche c’est : comment valoriser la parole de quelqu’un·e, comment l’interroger à un endroit où iel a des choses intéressantes et sensibles à dire. Tout le monde a des choses à dire, il s’agit de taper au bon endroit et de mettre à l’aise la personne pour que ça puisse sortir.

Quel est le lien entre ton usage de la radio et les processus créatifs, artistiques ?

La radio telle que je l’utilise est un outil hybride. Sous certains aspects, j’ai l’impression de faire des choses qui se rapprochent du journalisme, même si je ne m’en revendique pas. Par exemple, les émissions c’est assez journalistique mais j’y mets de la créativité dans la forme. Là où je vois plus clairement le lien, c’est dans la dimension « art documentaire ». Je mène une recherche assez similaire à ce que j’ai fait en théâtre. Je cherche à rendre sensibles des thématiques sociales et politiques en les traitant avec une grande subjectivité. Et puis, il y a vraiment une question de dramaturgie en radio, un gros travail sur la mise en récit. Je suis très inspirée par les réflexions de Donna Haraway1 sur la dimension politique dans le fait de raconter des histoires.

En plus de tes recherches et créations sonores, tu animes des ateliers pédagogiques. Est-ce que tu pourrais nous raconter ce qui se joue pour toi dans la pédagogie ?

J’ai commencé à faire de la pédagogie avec la radio alors que j’étais moi-même encore dans la découverte de cette pratique. Par rapport à cette question de processus, c’est intéressant. Comme je travaille seule, je ne conscientise pas vraiment mes méthodes. Alors le fait de devoir transmettre, ça m’oblige à théoriser ce que je fais, à rendre visible à moi-même les rouages et techniques que j’utilise. Dans la pédagogie ce que j’aime aussi, c’est inventer des cadres qui permettent à des personnes de s’exprimer, de créer et de se faire confiance là-dedans. Ça me touche de voir des jeunes qui se déploient, qui découvrent la joie, l’amusement de s’exprimer, de créer.

Tout au long des rencontres, il y a eu des captations audio et vidéos. Ça t’évoque quoi le fait de garder trace ?

Garder trace, récolter des paroles, c’est une grande partie de ce que je fais avec la radio. Mais dans le monde dans lequel on vit, on est déjà tellement sur-stimulé.e.s que parfois je me demande à quoi bon rajouter des données supplémentaires. Qui ça va intéresser ? Qui va réécouter ? Donc je porte une vigilance sur quelles traces on conserve et pour quoi faire. Au-delà de ça, garder des traces fait sens pour moi et le son est un bon outil pour le faire, un outil sensible.

A propos de dispositifs, on a terminé les rencontres par l’enregistrement en direct d’une émission collective. C’est quelque chose que tu as envie de creuser pour la suite ?

Oui j’aime beaucoup ce qui se joue dans le direct, les dispositifs d’enregistrement sont une forme de performance. Le fait de savoir que tu es enregistré, ça crée une qualité de présence particulière, tu prends vraiment soin de ce que tu donnes à entendre, un peu comme sur scène. Mais en même temps, je n’aime pas que la représentation crispe le moment d’échange. Là-dessus, Radio Zinzine m’a beaucoup inspirée, c’est une radio très conviviale et engagée, qui se trouve aussi au milieu des montagnes. Là-bas tu sors vraiment de la parole formatée. Dans le studio, il y a une grande table, tu peux boire une bière pendant l’émission et c’est pas grave si on entend le bruit de la capsule ! Le moment que tu vis est aussi important que ce qui est enregistré.

Une autre grande inspiration, c’est Tetsuo Kogawa, un japonais qui a inventé le dispositif de mini-FM. Au départ, il a bidouillé un outil technique tout simple, un émetteur qui diffusait seulement dans un rayon de 500m. L’idée était que tout·e auditeur·ice qui écoute la radio puisse se rendre sur le lieu physique de l’émission. La frontière entre auditeur·ices et participant·es devenait vraiment floue. C’est ça qui m’intéresse, que la radio, bien plus qu’un dispositif de diffusion d’information, soit un lieu de rencontre.

1Donna Haraway est biologiste et philosophe queer-féministe. Dans son livre Vivre avec le Trouble, elle cherche de nouvelles manières de fabriquer des récits dans un monde qui s’abîme.